Courrier d’Yves Veyrier à Jean-Michel Blanquer

Monsieur le Ministre,

Vous le savez, la Confédération générale du travail Force Ouvrière porte une attention particulière à l’éducation nationale. Non pas seulement du point de vue des questions catégorielles et professionnelles, qui relèvent au premier chef des syndicats et de la Fédération FO compétents pour les personnels, enseignants et non enseignants, de l’éducation nationale, mais quant à son rôle, essentiel en république, d’instruction publique des futurs citoyens.

A cet égard nous sommes attentifs à ce que l’éducation nationale, ses établissements comme son administration, disposent des moyens et de l’organisation nécessaires à l’accomplissement de sa mission, garantissant l’égalité sur l’ensemble du territoire.

La crise sanitaire, due à l’apparition du virus Covid19, devenue pandémie, et à l’insuffisance dramatique de moyens d’y faire face, tant de prévention (EPI), de dépistage (test) et de capacités médicales et hospitalières de prise en charge et de traitement des malades, a conduit les pouvoirs publics à décréter un état d’urgence sanitaire et, dans ce cadre, à décider d’un confinement strict de la population, commençant par la fermeture des écoles, collèges et lycées.

La continuité pédagogique – tant pour les élèves à domicile, que pour les enfants de personnels soignants devant être accueillis en présentiel – n’a pu être assurée, dans des conditions complexes, non anticipées et préparées, que du fait de l’engagement des fonctionnaires de l’Education nationale.

A la suite d’une décision du Président de la République, les modalités d’une reprise progressive de l’enseignement en présentiel sont censées être mises en place depuis le 11 mai.

Vous n’êtes pas sans savoir que cette décision comme ses modalités interrogent quant à leurs fondements.

Ainsi, lors d’une réunion entre le Premier Ministre et les interlocuteurs sociaux, nous n’avons pas manqué de demander que nous soient précisées les raisons ayant conduit à ces choix. Nous avons, en particulier, fait remarquer que le bon sens aurait pu amener à penser que mieux valait commencer par les plus grands (notamment les classes de première et terminale, ainsi que les classes charnières de CM2 et troisième), plus à même de comprendre et de respecter les gestes barrières, plutôt que par les maternelles et primaires. Faute de réponse, que nous n’avons pas eue ce jour-là, on ne pouvait alors s’empêcher d’y voir un impératif économique (permettre aux parents salariés dont les enfants seraient ainsi « confiés », pour ne pas dire gardés, à l’école, de reprendre pleinement leur travail, qu’ils soient en « télétravail » ou doivent se rendre physiquement à leur travail).

Mais nous avons eu aussi l’occasion de souligner que le « volontariat » – forme étonnante de droit de retrait des parents vis-à-vis de l’école ! quand est souvent stigmatisé le droit de retrait des salariés, qui y ont en réalité peu recouru – n’était pas sans ajouter des difficultés à la fois pour les parents, faute d’être accompagné d’un dispositif de prolongement de la prise en charge salariale des salariés concernés, et pour les équipes enseignantes et non enseignantes quant à l’organisation de la reprise.

Ces contraintes, dont toujours le manque de moyens suffisants (masques, tests), ont conduit les pouvoirs publics à décider une reprise partielle, progressive, et différenciée selon les départements et les communes, sur la base notamment des décisions que peuvent ou sont amenés à prendre les élus locaux, ainsi supposée ne pas risquer que l’école ne devienne un foyer de reprise de l’épidémie.

Là encore, et malgré des conditions qui posent beaucoup de questions quant au sens et à l’efficacité pédagogique d’une telle reprise, et à son impact sur des enfants en bas âges (mesures de distanciation et interdits en classe comme en cours d’école, sélection des enfants accueillis, séparation des enfants de soignants), les personnels de l’éducation nationale, comme ceux des collectivités locales affectés aux écoles se sont et sont mobilisés, malgré la peur de contracter le virus ou de le diffuser, tant vis-à-vis des enfants que d’eux-mêmes et de leurs proches.

S’ajoute aussi la difficulté de concilier le suivi des enfants accueillis et de ceux restant dans une configuration d’école à distance.

Si je m’adresse à vous, Monsieur le Ministre, ce n’est pas simplement pour vous décrire une situation, que vous connaissez sans aucun doute de façon plus détaillée et exhaustive, mais parce que les syndicats FO et la Fédération FO de l’Education nationale s’alarment très légitimement que cette situation extraordinaire ne conduise à justifier des projets de réorganisation ou réforme de l’éducation nationale allant à l’encontre de son caractère national, garant de l’égalité, de l’unité et de la laïcité républicaines.

Ils sont ainsi alertés par certains de vos propos publics, laissant penser que « cette reprise de mai-juin (…) permet d’expérimenter les modalités de fonctionnement, nécessairement mixtes, entre présence à l’école et enseignement à distance (…) (et de) travailler avec les collectivités locales sur la réorganisation de l’espace, l’articulation entre scolaire et périscolaire » et serait « l’occasion de moderniser le système éducatif ».

Ils nous informent que, dans ce contexte, ils ont d’ores et déjà, ici ou là, pu être confrontés à des injonctions ou décisions contradictoires quant aux modalités de reprises, émanant d’élus locaux, sans prise en compte des dispositions organisées par les équipes enseignantes et appuyées sur des objectifs pédagogiques.

Dans le même temps, le syndicat FO du primaire s’alarme d’une proposition de loi, déposée par des députés issus de la majorité gouvernementale, créant une fonction de directeur d’école qui serait un premier pas vers la création d’un statut de directeur et d’écoles autonomes.

Or, le Président de la République, lors de son allocution le 16 mars dernier, avait assorti l’annonce de l’instauration d’un état d’urgence sanitaire, dont le gouvernement, avec le parlement, vient de décider la prolongation de sa décision de suspendre toutes les réformes en cours, à commencer par la réforme des retraites. Nous ne pourrions comprendre que cela ne vaille plus, et ne vaille pas pour ce qui concerne l’Education nationale, a fortiori sur des orientations structurelles sujettes à controverses fondées.

A contrario, alors que le Ministre de la Santé a fait connaître son intention d’engager un plan d’investissement pour l’hôpital, sortant du dogme des fermetures de lits, accompagné d’une revalorisation conséquente des salaires des personnels, il ne serait pas compris qu’une démarche en ce sens ne soit pas annoncée concernant l’éducation nationale et ses personnels, dont il est reconnu que les rémunérations sont inférieures, là aussi, à celles de leurs homologues dans la plupart des pays comparables notamment en Europe. A ce sujet, nous considérons qu’une telle démarche devrait s’inscrire dans le cadre d’une revalorisation indiciaire.

Soyez assuré, Monsieur le Ministre, de ma très haute considération.

Yves VEYRIER

Secrétaire général