Lettre d’une école, à destination du maire de la commune

Le SNUDI-FO 51 se permet de relayer une initiative. L’équipe enseignante d’une école maternelle a rédigé ce courrier au maire de sa commune. Le texte raisonne d’une telle justesse que nous vous invitons à faire de même !

Monsieur le Maire,

L’École de la République est une école de la bienveillance. En tant qu’enseignants, nous avons à coeur cette notion, qui permet non seulement de faire progresser les élèves mais également d’assurer un cadre serein aux apprentissages et à la vie à l’école.

Or l’injonction à rouvrir les écoles le 11 mai fait fi de toute notion de bienveillance. À l’école maternelle, vous n’êtes pas sans le savoir, les enfants ont besoin de contact physique, de stabilité, de manipulation. Comment imaginer faire respecter les gestes barrières à des enfants qui ne savent pas ce qu’est un mètre ? Qui mettent tout à la bouche ? À qui il arrive d’être incontinents ? Qui réclament des contacts et de l’affection de la part de l’enseignant et de l’ATSEM ? Qui jouent entre eux, se touchent, se partagent ou se disputent le matériel, les jeux, les chaises ? Qui ne savent pas toujours bien se moucher, s’essuyer, ni même se laver les mains ?

Comment gérer le flux des parents, les entrées et sorties des familles, la vie devant l’école et dans ses couloirs et ses salles de classe, souvent trop exigus pour permettre la distanciation physique que les conditions sanitaires exigent ?

Et que dire de l’impact émotionnel sur les enfants de retrouver leur enseignant affublé d’un masque, qui ne manquera pas d’en terroriser certains, de ne retrouver qu’une partie de leurs camarades, de n’être en classe qu’un jour sur deux (dans le meilleur des cas), d’être confiés à un autre enseignant que le leur s’il nous faut scinder les classes ?

Comment poursuivre les apprentissages si l’on ne peut laisser les élèves manipuler ? Si l’on ne peut guider la main de l’élève avec la nôtre ? Si nous ne pouvons consoler les chagrins, apaiser les colères, interrompre les disputes ? Si le port d’un masque les empêche de voir nos lèvres former les sons ou d’entendre correctement les phrases que nous prononçons ? Si nous devons passer notre temps à tout désinfecter après chaque utilisation ?

Comment gérer la circulation dans l’école quand nous ne disposons que d’une entrée, les déplacements dans les couloirs sans que les classes ne se croisent, les passages aux toilettes (nombreux et importants en maternelle) quand nous ne disposons pas de toilettes à l’étage, l’organisation spatiale dans les classes quand nos tables ne permettent pas d’éloigner suffisamment les élèves, même en effectifs réduits ? Comment organiser un temps de sieste qui respecterait les protocoles de sécurité dans des locaux qui ne nous permettent pas d’espacer suffisamment les lits ?

Que faire d’un élève qui présenterait des symptômes quand on ne peut sous aucun prétexte les laisser seuls ?

Pardonnez-nous cette avalanche de questions, il se trouve que c’est la seule chose que nous sommes en mesure de formuler dans ces conditions. Car nous n’avons aucune réponse, aucun moyen concret d’assurer la sécurité de nos élèves ou de leurs familles. Au sein de ces familles, il y a déjà eu des décès dus au coronavirus. Nous ne pouvons envisager de créer les conditions qui pourraient mener à ce que cela se reproduise.

L’article 1 383 du Code civil stipule que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Or rouvrir les écoles le 11 mai relève de l’imprudence, compte-tenu du peu d’informations dont nous disposons concernant la charge virale présente chez les enfants et la possibilité qu’ils soient vecteurs de la maladie au même titre que les adultes (aucun consensus scientifique n’étant pour le moment atteint à ce sujet).

Bien sûr, il nous faudra reprendre le cours de nos vies « normales », avec cette nouvelle donnée qu’est le coronavirus, dans un monde qui en sera rendu encore un peu plus dangereux. Mais la réouverture des écoles le 11 mai, pour les quelques semaines de cours qu’il reste avant les vacances d’été, nous apparaît précipitée, faute d’informations, faute de moyens, faute de préparation. Elle constitue une mise en danger des élèves et de leurs familles que nous ne pouvons tolérer, car elle va à l’encontre même de la mission et des responsabilités qui nous incombent en tant qu’enseignants. Permettez, nous vous en conjurons, que l’École demeure une institution bienveillante.

L’équipe enseignante de l’école …